Sortir des mystifications et oxymores européens
Une constitution pour une Europe démocratique et souveraine
Pour un État européen souverain et démocratique
L’impérieuse nécessité d’un État européen souverain doté d’un gouvernement démocratique, nous est rappelée avec insistance, en des occasions de plus en plus fréquentes.
Les questions de politique extérieure et de défense, intimement liées, se présentent aujourd’hui sans aucun doute comme les plus patentes, les plus prégnantes et les plus urgentes. Une guerre révoltante de reconquête coloniale sanguinaire menée par la Russie en Europe contre l’Ukraine, nous le rappelle tous les jours depuis bientôt un an. Elle constitue par-delà son immoralité et son illégalité au regard des conventions internationales, une menace de fait, consciente et délibérée, contre nous. Pendant que nous étalons nos états d’âme, notre pusillanimité, nos scrupules déplacés et nos divisions, l’héroïsme de la population et de l’armée ukrainiennes dresse pour nous un rempart contre cette menace. Ils résistent et meurent pour leur liberté et le respect de leur identité culturelle, mais aussi pour les nôtres : leur combat est aussi le nôtre.
Fiers de porter des valeurs que nous voulions croire universelles, nous nous sommes abandonnés à la douce torpeur d’une consommation matérialiste effrénée. Bien à l’abri du parapluie américain, empêtrés dans nos prétentions de souverainetés nationales juxtaposées et de nos velléités pacifistes, installés dans le mythe d’un « plus jamais ça », nous avons accepté de n’être que des supplétifs au sein de l’OTAN. Lorsqu’il s’agit maintenant de respecter nos promesses en portant secours à un pays ami, nous feignons la surprise. Aveugles devant l’indigence des capacités militaires véritables de nos États respectifs, en qualité et en nombre, nous la constatons trop tard et nous nous abritons piteusement derrière d’hypothétiques nécessités de nos défenses nationales respectives. Gouverner, c’est prévoir. Nos États bancals doivent cesser leurs rodomontades, qui ne dupent que nous, et admettre leur incapacité à défendre seuls leurs populations. Cessons de compter sur les autres (l’OTAN) pour combler nos carences. Unissons-nous, érigeons enfin une défense européenne fédérale, ce que nous avons fait pour la monnaie il y a vingt-cinq ans.
Les alliances sont par nature contextuelles et temporaires. Elles finissent toujours par être dénoncées. À plusieurs reprises récemment, des gouvernements états-uniens, qui restent encore à la tête de l’OTAN et souhaitent le rester, ont menacé d’abandonner l’Europe à son sort. Ils ont entraîné l’OTAN à trahir le peuple syrien, puis le peuple afghan. Prenons nous-mêmes notre défense et, plus généralement, notre souveraineté en mains, et devenons crédibles, avant de confirmer une ou des alliances, sur un pied d’égalité. Pour le bien et l’avenir des citoyens européens donnons-nous les moyens de jouer un vrai rôle géopolitique, en nous dotant d’un exécutif européen pleinement légitime, sous le contrôle démocratique d’un Parlement de plein exercice. Car « pas d’exécutif européen, pas d’armée européenne ! »1 Parce que cela est plus nécessaire que jamais, donnons-nous enfin un État européen souverain, doté d’une constitution démocratique.
La mystification prétentieuse d’une gouvernance intergouvernementale
On feint d’ignorer l’objectif toujours vivace du projet européen et la nature actuelle de l’Union européenne. Les media, même ceux qui affichent un européisme actif, persistent à la désigner pudiquement par le terme de « le bloc ». Ni Hanse moderne ou Guilde de marchands, ni alliance ou simple zone de libre échange en dépit de certains fantasmes méprisants, mais fédération en devenir, l’Union européenne n’est encore aujourd’hui qu’une association d’États. Parce qu’intergouvernementale, sa gouvernance ne peut pas être efficace.
En 1950, cinq ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, six États ont fondé la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier, mais ils ont peu après échoué à établir la Communauté européenne de défense et la Communauté politique qui en était à la fois la condition sine qua non et le corollaire.. Heureusement, en 1957, les traités de Rome ont relancé l’intégration européenne.
Étendant la pratique auparavant informelle et occasionnelle initiée par Charles De Gaulle de « réunions au sommet » de hauts dirigeants (bientôt simplement appelées « sommets »), ces réunions devinrent régulières à partir de 1974 sur la proposition de Jean Monnet2 avec l’appui de plusieurs chefs de gouvernements dont Valéry Giscard d’Estaing3 et Edward Heath. Ainsi naquit le Conseil européen composé des chefs d’État4 et de gouvernements des États membres qui finit par être institutionnalisé en 2009 par le traité de Lisbonne.
Mais, subrogeant notamment les prérogatives « statutaires » de la Commission européenne, ainsi reléguée à un rôle de secrétariat, il lui fait de facto perdre son droit d’initiative et sa fonction d’exécutif. En outre, tant par essence que fonctionnellement, il ne peut jamais que répondre à l’obligation d’aboutir à des conclusions consensuelles, donc sur une incontournable unanimité5. En effet, la mise en minorité de l’un ou de plusieurs des partenaires ne pourrait qu’être ressentie comme une exclusion et aboutir à un blocage puis à l’éclatement du groupe.
Par sa composition, le Conseil européen ne dispose d’aucune légitimité démocratique au niveau où il s’exprime, et. chacun de ses membres individuellement encore moins. Il est choquant que tel ou tel chef de gouvernement d’un État membre s’auto-désigne mandataire de toute l’UE. Ainsi, exemple récent, pour le commerce extérieur lorsque le chancelier Olaf Scholz en visite dans quelques pays d’Amérique du Sud où, du reste, sous prétexte de relancer le Mercosur, il vante tantôt les relations entre l’Europe et ses hôtes, tantôt « entre nos deux pays ». D’autres personnalités politiques de haut niveau des États membres, tel M. Macron, s’autorisent également souvent des attitudes similaires dans certains domaines, sans plus de légitimité européenne pour les missions qu’ils s’attribuent. Combien de temps cette pétaudière durera-t-elle ?
-
Légitimité démocratique
En matière d’action publique, ce concept essentiel permet de délimiter la répartition et la hiérarchie des responsabilités entre niveaux institutionnels. Le citoyen d’une commune participe à l’élection des conseillers municipaux, leur conférant ainsi démocratiquement une légitimité dans l’administration de la commune, dans ce cadre seulement et pour cela uniquement. Le même raisonnement vaut pour tous les étages institutionnels, puisque, naturellement, il existe naturellement d’autres élections directes, en France par exemple pour les conseils départementaux et régionaux, et pour l’Assemblée nationale. La légitimité démocratique n’est pas transitive. Il n’existe pas de légitimité directe et indirecte. Les élus d’une commune n’ont de légitimité démocratique que dans cette commune. En tant que tels, au conseil départemental, au conseil régional ou à l’Assemblée nationale, ils n’en ont aucune. De la même manière, les gouvernements des États membres ne peuvent se targuer d’aucune légitimité démocratique au niveau européen. Si l’on considère que, dans l’échelle des légitimités, les collectivités territoriales intermédiaires qui disposent d’une personnalité juridique propre doivent néanmoins bénéficier d’une représentation politique, ceci relève d’un système parlementaire bicaméral. Une assemblée des chefs de gouvernements n’est pas démocratiquement légitime en tant que telle au niveau européen, tandis que les assemblées sectorielles des ministres de compétences similaires au sein de ces mêmes gouvernements ne constituent pas une chambre haute.
Il ne suffit pas de consulter de temps à autre quelques panels de citoyens pour prétendre établir une gouvernance démocratique de l’Union européenne. La démocratie participative, pour importante qu’elle soit en animant un peu le débat politique, reste seconde par rapport à la démocratie représentative, respectueuse du secret de l’isoloir.
Amender des traités internationaux intergouvernementaux par une Convention qui sera sanctionnée par une conférence intergouvernementale puis, comme cela fut tenté en 2005 dans certains États membres, demander négligemment au peuple de ratifier une telle pseudo-constitution intergouvernementale ne réglera rien sur ce point. Des traités intergouvernementaux, même amendés, restent des traités internationaux non démocratiques.
Il est piquant de lire que les panels de citoyens qui se sont exprimés lors de la Conférence sur l’avenir de l’Europe ayant plébiscité, notamment, la suppression de la règle de l’unanimité, les États membres et leurs représentants vont aimablement se plier à leurs attentes. Invitons plutôt les citoyens et leurs représentants directs à établir les nouvelles règles démocratiques, sous la forme d’une constitution.
La légitimité démocratique et la souveraineté européennes ne peuvent être garanties que par une constitution démocratique rédigée avec eux par des représentants légitimes des citoyens européens et directement ratifiée par ces derniers. Les citoyens européens doivent s’approprier la légitimité démocratique des institutions qui gouverneront l’Union européenne en leur nom et dans leur intérêt. Les représentants légitimes des citoyens européens sont les députés qu’ils élisent au Parlement européen. Lors des prochaines élections, en 2024, afin que ceux-ci disposent d’un mandat incontestable leur attribuant la mission de rédiger une constitution, cette attribution doit être explicitement mentionnée lors de la campagne électorale.
-
Souveraineté européenne
Proclamer machinalement, que « l’Union européenne doit être souveraine », c’est souvent oublier qu’elle doit l’être non seulement face aux États du Monde, mais aussi vis à vis de ses propres États membres. Or quelle est la nature de l’Union européenne aujourd’hui, sinon encore un regroupement d’États individuels, en compétition permanente et continuant chacun de se revendiquer comme pleinement « souverain » ? La souveraineté, nous dit le dictionnaire Robert est « le caractère d’un État ou d’un organe qui n’est soumis à aucun autre État ou organe, alors même qu’il est lié par des règles supérieures ». Alors, souverains ensemble au sein de l’Union européenne ou craintivement souverains vis-à-vis les uns des autres ? Aucun compromis n’est possible et cette contradiction, cause de fragilité et d’immobilisme, doit être tranchée avec détermination.
Mais par ailleurs si Chateaubriand, qui s’en félicite6, souligne en son temps que « le principe de la souveraineté du peuple est substitué au principe de la souveraineté royale, la monarchie héréditaire étant changée en monarchie élective », de même alors cette souveraineté du peuple subroge une hypothétique souveraineté de l’État dont il constitue les citoyens : en Suisse, « le souverain » ne désigne-t-il pas, précisément, le peuple ?
Le « traité d’amitié » entre la France et l’Allemagne, un traité bilatéral
Même si elle eut en son temps une importance symbolique indéniable, pourquoi continuer aujourd’hui de privilégier cette relation particulière ? Continuera-t-on indéfiniment à l’encenser comme étant prétendument le fondement de l’unité européenne et de son union ? À l’occasion de la signature du traité franco-italien dit « du Quirinal » le 26 novembre 2021, on a même pu suggérer la multiplication de traités bilatéraux, avec l’Espagne, etc. Mais peut-on établir une Union européenne effective et efficace sur la base de 351 relations bilatérales7 entre ses 27 États membres ? En Suisse (qui avait fondé ses relations avec l’Union européenne sur un réseau de traités bilatéraux), l’État fédéral ne repose certes pas sur 325 relations bilatérales entre les 26 cantons !
Maintenant que les lampions de la commémoration du soixantième anniversaire sont éteints et que les flonflons se sont tus, chacun est retourné à ses occupations et ses jeux de rôles habituels. Pour la construction d’une Europe forte, souveraine et démocratique, les choses sont restées en l’état. Car les grand-messes et les discours convenus, ainsi que la contemplation béate et un brin simpliste du passé, tout en perdant de vue l’objectif ultime de la réconciliation historique, n’y changeront rien : l’Union européenne n’a aucune chance de jamais devenir souveraine et démocratique dans son cadre institutionnel actuel.
La nécessité d’une paix durable entre la France et l’Allemagne, comme l’a si judicieusement rappelé le chancelier Olaf Scholz, n’avait pas attendu l’arrivée au pouvoir de De Gaulle ni le traité « de l’Élysée » pour être comprise. Parmi d’autres Robert Schuman l’avait compris dès 19508 et même avant, et il y avait habilement œuvré au milieu de tous les écueils, ouvrant ainsi la voie avec Jean Monnet à la Communauté européenne du charbon et de l’acier. À l’époque, cinq ans seulement après la fin de la guerre, ils considéraient que la réconciliation définitive, dans l’honneur, de la France et de l’Allemagne constituait un préalable indispensable à l’avenir pacifié de toute l’Europe. Cinq ans après la fin de la guerre, plus encore que celle du peuple français, la France craignait la réaction de l’Allemagne à la main qu’elle lui tendait. N’est-il un peu amusant d’entendre aujourd’hui le chancelier fédéral allemand déclarer, gageons plutôt pour tenter de rassurer un partenaire en plein doute que par maladresse, que « ce geste historique de réconciliation9 a marqué le début de l’unification européenne. Il symbolise tout particulièrement le rôle de la France en tant que “nation indispensable” dans la construction d’une Europe unie. La France l’est et le reste aujourd’hui. »10 ? Combien de temps la « Grande Nation » ressentira-t-elle encore le besoin de se rassurer elle-même en célébrant (tous les dix ans) cette réconciliation ? Qu’en dira-t-on encore en 2033 et en 2063 ? La contemplation du passé ne suffit plus.
« Le “moteur franco-allemand” souvent cité », dit le chancelier, « ne fonctionne pas seulement très bien lorsqu’il ronronne doucement, à peine perceptible, comme c’est souvent le cas. » Malheureusement, ce moteur poussif à deux-temps et deux cylindres ne suffit plus à entraîner le lourd chariot de l’Union européenne d’aujourd’hui.
-
Répartition des compétences entre étages de légitimité démocratique
Maximes politiques et sociales, suppléance, subsidiarité et proportionnalité sont les trois principes qui régissent la répartition des compétences des collectivités, dans la recherche du niveau pertinent et le plus efficient d’action publique.
Le premier n’est pas explicitement mentionné dans les traités. Il justifie pourtant et constitue le fondement même de l’union : on invoque la suppléance lorsque des problèmes de responsabilité publique excèdent les capacités d’une petite entité à les résoudre ; l’échelon « supérieur » doit alors prendre ces problèmes à son compte, dans les limites du principe de subsidiarité. Ce dernier prescrit, en effet, que la responsabilité d’une action publique, lorsqu’elle est nécessaire, doit être attribuée à la plus petite entité capable de résoudre par elle-même le problème considéré (« l’Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres »). Le troisième, la proportionnalité, vise à établir et à garantir l’équilibre entre les deux autres, suppléance et subsidiarité (« l‘Union n’agit que dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées »).
Euronews, dépêche du 30 janvier 2023
Après avoir rencontré le président chilien dans le cadre de sa tournée en Amérique latine, le chancelier allemand Olaf Scholz a réaffirmé dimanche (29 janvier) que son pays ne permettra pas que la guerre en Ukraine se transforme en conflit entre la Russie et l’OTAN. « Nous avons contribué » a déclaré le chef du gouvernement allemand « à ce qu’il n’y ait pas d’escalade du conflit, car cela aurait de graves conséquences pour le monde entier. Cela conduirait, par exemple, à une guerre entre la Russie et les pays de l’OTAN, cela n’arrivera pas, nous l’empêcherons par tous nos efforts, nous avons réussi jusqu’à présent et nous continuerons à le faire. Il s’agit de soutenir l’Ukraine, il s’agit d’avoir un débat sérieux pour prendre les décisions qui doivent être prises et cela ne devrait pas être une compétition (pour savoir) qui envoie le plus d’armes », a-t-il fait valoir. M. Scholz a expliqué, à Santiago du Chili, que lui et son homologue états-unien Joe Biden « (refusent) d’envoyer des troupes en Ukraine » afin d’éviter une escalade du conflit.
En se permettant de telles déclarations à l’étranger, M. Scholz se substitue à Josep Borell, Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.
Personne ni aucun pays ne souhaite bien sûr une escalade du conflit qui aboutirait à une guerre directe entre la Russie et les pays de l’OTAN. Mais nous ne sommes pas maîtres du jeu, en dépit de notre prudence, de nos réticences et de nos principes. Personne ne peut garantir que cela ne finisse malheureusement quand même par se produire quand et si Poutine le décide. En outre, est-il vrai qu’il existe une compétition pour savoir qui envoie le plus d’armes à l’Ukraine ? Ne serait-ce pas plutôt l’inverse ? Mais surtout cette déclaration contient la menace explicite d’un veto allemand à des décisions qui ne lui conviendraient pas, exemple patent de préemption a priori par un État membre de la politique extérieure de l’Union européenne, sur un sujet qui, au plus haut degré, concerne celle-ci dans son ensemble, tous ses citoyens, donc leurs représentants. C’est entre les représentants des citoyens européens, au Parlement européen, que le « débat sérieux » évoqué par Olaf Scholz devrait trouver sa place de manière démocratique.
Qu’allait faire, en réalité, en Amérique tout seul M. Scholz ? Représentant d’un gouvernement, il y cherchait avant tout des avantages économiques particuliers pour son seul pays, en désavouant ainsi ouvertement Valdis Dombrovskis, commissaire européen au Commerce et « vice-président exécutif » pour l’économie, comme c’est une coutume établie par tous les États membres. L’union douanière et la politique commerciale commune font pourtant partie des compétences exclusives de l’Union européenne, ce qui permet à celle-ci de défendre d’une seule voix les intérêts de tous les citoyens européens. Rappelons que d’autres États membres ne sont pas favorables au projet de traité avec le Mercosur en l’état.
Celles et ceux qui s’étaient laissé duper par le mirage des promesses d’une Europe fédérale énoncées à usage politique interne dans le pacte de coalition tricolore11 pour étayer un édifice branlant, doivent ouvrir les yeux.
La gouvernance de l’Union, objet d’un droit interne propre de l’Union
Le droit de l’Union européenne prime sur le droit national12. Cette situation ne résulte pas seulement de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Elle est la conséquence de la supériorité, d’une manière générale, du droit international sur le droit national. Celui de l’UE bénéficie cependant d’une supériorité particulièrement forte, appelée “primauté”, et d’un effet direct au profit des individus. Le droit européen primaire (traités et principes généraux du droit européen) et dérivé (règlements, directives, décisions) l’emporte sur toute disposition contraire du droit national (principe de primauté, affirmé par la Cour de justice des communautés européennes dans l’arrêt Costa c./ENEL du 15 juillet 1964). Et la déclaration n°17, relative à la primauté, annexée à l’acte final du traité de Lisbonne, précise bien que « les traités et le droit adopté par l’Union sur la base des traités priment le droit des États membres ».
Cependant, plusieurs cours constitutionnelles des États membres de l’UE, et pas seulement celle de Karlsruhe, fondées à défendre les intérêts des citoyens de ces États, soulignent à l’occasion que les institutions européennes ne disposant d’aucun fondement véritablement démocratique, à l’exception partielle du Parlement européen, ne disposent (pas encore) aujourd’hui de la légitimité permettant de se voir déléguer des compétences régaliennes au nom de l’ensemble des citoyens européens.
-
Droit interne vs droit international
Le droit interne est la partie du droit en vigueur dans un État qui régit les rapports sociaux au sein de cet État. Il émane du processus législatif de cet État. La Constitution (ou Loi fondamentale) d’un État en constitue la norme suprême.
L’organisation des institutions d’un État, donc sa « gouvernance », ne peut relever du droit international et être établie par des traités internationaux car cela relève de sa constitution. Contrairement à d’autres dispositions du droit international, celle-ci ne peut être intégrée de l’extérieur au droit interne d’un État.
L’Union européenne n’est pas, pas encore, un État. Elle ne peut le devenir qu’en se dotant en propre d’une constitution, ce qui relève d’un processus démocratique fondateur interne.
Sans exception depuis celui de Paris (CECA) en 1951, le cadre institutionnel de l’Union européenne a été établi et conforté par une succession de traités internationaux (donc intergouvernementaux), par-dessus la tête des citoyens. Sans doute inévitable à l’origine, mais aujourd’hui choquant, ce manque patent de démocratie contrarie inlassablement leur adhésion affective à « l’Europe ».
Les citoyens de l’Union européenne sont légitimes à exiger une constitution européenne. Il faut se réjouir de ce que tous les sondages confirment aujourd’hui leur souhait majoritaire de voir « l’Europe » parler d’une seule voix et prendre plus de responsabilités dans la gestion des multiples problèmes auxquels ils sont confrontés.
Conclusion
Le 9 mai 1950, il y a bientôt 73 ans, Robert Schuman avait déclaré « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait. »
À la suite de cette déclaration prémonitoire, on s’est trop longtemps résigné à l’idée qu’il n’y aurait pas de « grand soir fédéraliste » en se contentant d’une politique « des petits pas ». Aujourd’hui des réalisations, concrètes ou pas, sont bien là : qu’attendre encore ? Lorsqu’un avion s’élance sur la piste, il existe un point où, s’il n’a pas encore décollé, il est désormais trop tard et le crash en bout de piste est inévitable. L’Europe en est bientôt là, tandis que ses pilotes se disputent pour ne pas tirer le manche. L’Union européenne a besoin de toute urgence d’un gouvernement démocratiquement légitime. Attendre un hypothétique meilleur moment risque de ne plus servir à rien. Or, en les soumettant à l’unanimité au sein du Conseil européen, le traité de Lisbonne interdit de facto toute procédure de révision.
Comment sortir de ce blocage sinon en en appelant au peuple ? Aujourd’hui, plus que de le leur proposer courtoisement, demander expressément aux citoyens européens de se donner une constitution, démocratiquement, est une exigence existentielle de l’Union européenne.
François Mennerat
7 février 2023
L’auteur tient à remercier chaleureusement M. Jean Marsia d’avoir bien voulu relire son texte et des conseils qu’il lui a prodigués.
Notes
1 Christophe Gomart, général de corps d’armée français.
2 Démarche plutôt brouillonne au regard des convictions fédéralistes qu’on lui prête.
3 Valéry Giscard d’Estaing qui avait déjà initié le G7 en 1974 appréciait particulièrement ces réunions « au sommet » fortement médiatisées.
4 En fait le seul président de la République française, chef de gouvernement de fait.
5 Comme c’est immanquablement le cas dans tout cadre confédéral ou assimilé.
6 Mémoires d’outre-tombe, t. V, p. 278.
7 (n(n-1))/2
8 « Le rassemblement des nations européennes exige que l’opposition séculaire de la France et de l’Allemagne soit éliminée. L’action entreprise doit toucher au premier chef la France et l’Allemagne. »
9 Le Traité dit en France « de l’Élysée » du 22 janvier 1963 (ndlr)
10 „Diese historische Versöhnun gsgeste stand am Beginn der europäischen Einigung. Sie steht in ganz besonderer Weise für Frankreichs Rolle als unentbehrliche Nation, als „nation indispensable“, beim Aufbau eines vereinten Europas. Frankreich ist und bleibt das auch heute“.
11 Ampelkoalition, https://gfx.sueddeutsche.de/storytelling-assets/2021-11/koalitionsvertrag/Koalitionsvertrag_2021-2025.pdf
12 https://www.vie-publique.fr/fiches/20362-quelles-relations-entre-le-droit-europeen-et-les-droits-nationaux (fiche extraite extraite de « L’union européenne – Institutions et politiques » https://www.vie-publique.fr/catalogue/23844-lunion-europeenne)