Ranimer le rêve européen et achever démocratiquement le projet

Précédés de sondages rassurants, mais superficiels, l’élection du Parlement européen et sa campagne posent tous les cinq ans la question de l’attachement de ses citoyen(ne)s à cette entité supranationale difforme qu’est l’Union européenne. Les questions posées par les sondeurs et les arguments des cercles proeuropéens censés convaincre les électeurs ramènent toujours les enjeux à des préoccupations matérielles et intéressées. « La France est plus forte grâce à l’Europe » ou « L’Europe finance et subventionne des réalisations pour vous » sont des slogans ineptes, puisque l’Union européenne n’a quasiment pour ressources que les contributions de ses États membres. Aussi longtemps qu’elle n’est pas équitablement répartie, vanter la prospérité que l’Union est censée apporter à ses citoyen(ne)s est un peu terne et reste inaudible.

Duplicité

Les pouvoirs en place dans les États membres, comme leurs oppositions, masquent avec distanciation l’objectif originel du projet d’union et ramènent l’élection à des enjeux nationaux, comme la compétition entre États. La loi électorale européenne facilite ce hold-up conceptuel. La dissolution précipitée de l’Assemblée nationale par le président de la République française avant même la publication officielle des résultats de l’élection européenne, accrédite une vision nationaliste des enjeux.

Condescendance

Que l’enthousiasme des citoyens se soit évanoui ne doit pas étonner. Et qu’ils n’envisagent plus l’« Europe » que selon une rationalité froide, intéressée et suspicieuse, à la recherche d’avantages à court terme, non plus. La nature profonde du « projet européen », ses enjeux réels et son objectif ultime leur échappent, et les relais d’opinion pratiquent l’omerta. La faiblesse et les carences démocratiques des institutions européennes les rendent diaphanes. Les peuples de l’Europe ne veulent plus s’entredéchirer, mais ils sont tentés de se recroqueviller sur des prés carrés idéalisés. Imaginer qu’en Europe un État-nation (État national) puisse encore garantir seul la prospérité et la sécurité de ses citoyens est illusoire. Les débats en cours en France à la suite des élections législatives anticipées n’évoquent pas un instant la dimension européenne des décisions à venir. Les Européens doivent admettre leur communauté de destin.

Un cheminement entravé

Établies par des traités internationaux intergouvernementaux dès les balbutiements communautaires de 1950, les institutions de l’UE ne reflètent pas l’espoir des mouvements de résistance de plusieurs pays européens, secrètement réunis à Genève en 1944, d’une Europe démocratique unie dans sa diversité par des institutions fédérales. Se résigner à cet abandon, s’en consoler en invoquant le pragmatisme et en se félicitant d’une créativité novatrice et anticonformiste est irresponsable. Trois quarts de siècle après son coup d’envoi, le processus d’union des peuples européens reste inachevé, instable et fragile, et cela doit nous émouvoir.

La vision de 1944 a été contrecarrée dès 1946 par les États nationaux renaissants. « L’Europe des nations » avait pourtant été expérimentée pendant des siècles, dans toutes ses dimensions et tous ses détails. Mais, pas plus qu’aujourd’hui, les leçons n’avaient été entendues, ni le nationalisme universellement condamné. Le Congrès de l’Europe de La Haye en mai 1948 fut le théâtre de déclarations contradictoires et de profonds malentendus. Il n’en résulta qu’une institution intergouvernementale (le Conseil de l’Europe) et un nouveau mouvement, tous deux pétris de bons, mais vagues, sentiments. En juin 1955, tentant de surmonter le revers constitué par l’abandon en 1954 du traité de Communauté européenne de défense et de son corollaire, une Communauté politique, la conférence de Messine aboutit à instaurer en 1957 une Communauté économique européenne d’inspiration ordolibérale (l’Ordnungphilosophie allemande), comme le rappelle Aliénor Ballangé (in « La démocratie communautaire »). Cette voie détourna durablement le projet de ses objectifs d’ensemble, explicitement et profondément politiques, car elle n’appelait, au mieux, qu’une « constitution économique » (sic). De ce paradigme déviant, l’Union européenne intergouvernementale actuelle, centrée sur son marché unique, est l’héritière. Depuis lors, mis à part l’Union économique et monétaire encore inachevée, aucune véritable avancée ne s’est plus produite et la démocratie est toujours en panne. Le fallacieux projet de « traité constitutionnel » oxymorique de 2004-2005 n’était qu’un projet de traité international de plus. Et le traité de Lisbonne de 2007 a scellé la gouvernance intergouvernementale, faisant des citoyens électeurs européens des spectateurs dubitatifs et complices malgré eux d’une mascarade pseudo-démocratique. Le comble, aujourd’hui, est d’imaginer pouvoir compter sur les gouvernements des États membres pour instaurer une fédération européenne démocratique en s’appuyant sur ce traité de Lisbonne !

Contrat social et affectio societatis

Au cœur du fonctionnement institutionnel de l’UE, il manque un contrat social, générateur d’affectio societatis. Ces deux concepts relèvent l’un de la philosophie politique, l’autre du droit des sociétés (article 1832 du Code civil) mais ils peuvent être rapprochés. Dans « Du contrat social ou Principes du droit politique » Jean-Jacques Rousseau affirme que la notion de souveraineté du peuple s’appuie sur les notions de liberté, d’égalité, et de volonté générale.

Afin d’établir un état de droit, tout groupe humain a besoin de règles codifiées qui, pour être acceptées par tous, doivent être élaborées démocratiquement. On ne triche pas avec la démocratie : elle ne peut être tronquée ou seulement partielle, ni être contournée par des Ersatz : elle est ou elle n’est pas. Pour les aimer, les Européens doivent se reconnaître dans leurs institutions. Ils doivent en comprendre les raisons d’être. Leurs règles de fonctionnement doivent être limpides et leurs noms correspondre à des concepts familiers (combien, par exemple, de « Conseils » aux rôles opaques dénombre-t-on aujourd’hui en Europe ?)

Constitution démocratique vs ballets diplomatiques

Montesquieu a énoncé les principes de base d’un fonctionnement démocratique. Après avoir inspiré la constitution américaine, ils doivent inspirer une vraie constitution européenne qui remplacera les bricolages instaurés dans des traités entre gouvernements nationaux et respectera la souveraineté du peuple. Ce ne sera pas un n-ième traité entre gouvernements nationaux jaloux de prérogatives objectivement dépassées par les événements. Cette constitution, les citoyens se la donneront et ils s’approprieront les institutions en découlant. Un fonctionnement démocratique se substituera aux relations diplomatiques entre États membres et il deviendra possible de disposer d’une politique extérieure commune et d’une vraie défense européenne, démocratiquement légitimes.

Mutatis mutandis, nos députés européens doivent prêter un serment analogue au Serment du Jeu de paume du 20 juin 1789 et s’ériger en assemblée constituante.

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François MENNERAT

Bi-patriote déterminé assumant sa double citoyenneté, européenne et française et sa double loyauté.Cet article n’exprime que les opinions de son auteur et n’engage nullement l’association « Europe Unie dans sa Diversité ».

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