Existe-t-il un Père Noël fédéraliste ?
Un sondage réalisé les 7 et 8 décembre par l’entreprise de sondages Odoxa pour France Info et Le Figaro1, révélerait que 58 % des Français sont aujourd’hui favorables à une Europe fédérale. Dans le contexte européen présent de la signature du Traité du Quirinal et du Contrat de gouvernement allemand, une telle nouvelle ne pouvait passer inaperçue et elle fait grand bruit. C’est de toute façon un résultat encourageant, mais il faut garder la tête froide et rester précis.
Le titre du sondage, « Les Français, l’Europe et la présidence française de l’Union européenne », traduit son intention : étudier les possibles interférences entre deux événement fortuitement concomitants, à savoir la présidence française du Conseil de l’Union européenne au 1er semestre 2022 et la campagne de l’élection présidentielle française des 10 et 24 avril 2022, ou plus exactement l’éventuelle influence dans l’opinion de la première sur la seconde. Et la conclusion générale du sondage, manifestant son intention première et sa préoccupation principale est du reste « Emmanuel Macron pourrait marquer des points à l’occasion de la présidence française de l’UE mais il lui faudra prendre position sur des sujets épineux ».
Il convient de noter au préalable que la présidence de six mois dont il s’agit ne sera pas celle de l’Union européenne, aucune n’étant prévue par les traités, mais celle du Conseil de l’Union européenne. Sans doute faudra-t-il un jour mettre de l’ordre dans le nom des institutions européennes, source principale de l’impression de complexité ressentie par l’opinion. Ce Conseil-là est le digne descendant du « Conseil spécial des ministres », l’une des trois institutions de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) que les milieux politiques européens avaient pris l’habitude d’appeler simplement « le Conseil », constitué des ministres chargés de la gestion des approvisionnements en charbon et acier au sein des gouvernements des six États membres de l’époque. Au gré de l’évolution des compétences attribuées aux institutions européennes, donc des traités, ces surnoms de « Conseil » ou de « Conseil des ministres » sont restés attachés à ce qui est devenu l’actuel Conseil de l’Union européenne.
Le Conseil de l’Union européenne est constitué des ministres des gouvernements des États membres. Ils se réunissent périodiquement, non en séance plénières mais en formations spécialisées, sortes de commissions parlementaires, en fonction de leurs attributions dans leurs États respectifs, affaires étrangères, finances, défense, éducation, santé, etc. La présidence collective du Conseil est assurée tous les six mois par un État membre selon un calendrier établi longtemps à l’avance, ce qui explique la coïncidence à venir avec la campagne électorale. La France aurait pu demander à décaler cette présidence du Conseil de l’UE, elle ne l’a pas fait. D’où les interrogations qui constituent le thème du sondage.
Sur les huit que comporte le sondage, les questions 3 et 4 nous semblent les plus significatives au regard de l’opinion des Français vis à vis de l’UE et de son évolution.
Extrait de la méthodologie du sondage
L’enquête a été réalisée auprès d’un échantillon de 1 005 Français représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, interrogés par internet les 7 et 8 décembre 2021. La représentativité de l’échantillon est assurée par la méthode des quotas appliqués aux variables suivantes : sexe, âge, niveau de diplôme et profession de l’interviewé après stratification par région et catégorie d’agglomération. L’Institut Odoxa requiert la mention suivante pour toute publication de ce sondage : « Auprès de l’ensemble des Français, avec un niveau de confiance de 95 % de part et d’autre de la valeur observée, la marge d’erreur s’établit, selon le score visé, à plus ou moins 1,4 et 3,1 points. »
L’Institut Odoxa relève qu’à 30 jours de la présidence française, l’Union européenne n’est pas au cœur des conversations sur les réseaux sociaux où ce sont surtout ses détracteurs politiques qui évoquent plus cette institution « distante » et que les internautes y parlent relativement peu de l’Europe et de l’Union européenne, et propose 3 raisons principales :
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Une méconnaissance des instances européennes, de leurs rôles, de leurs pouvoirs et responsabilités. Il faut cependant noter que cette méconnaissance permet en revanche aux idées reçues, clichés et parfois fausses informations de circuler assez facilement.
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La perception qu’en dehors de la sphère économique, l’UE n’est pas une réalité. Les aides et soutiens financiers face. l’épidémie de Covid-19 ont conforté ce sentiment. Ce n’est donc pas réellement un sujet de conversation actuellement pour les internautes, plus concentrés sur la sphère nationale.
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Une partie des internautes considèrent l’Europe comme un frein au développement national mais sont également convaincus que leurs marges de contestation sont faibles donc ils s’expriment assez peu sur ce sujet sans solution.
En outre, l’Institut Odoxa relève qu’en ligne seules les personnalités politiques s’expriment régulièrement sur l’UE. Leurs prises de parole sont principalement destinées à en faire un argument politique, que ce soit en « pour » ou en « contre », avec actuellement une très forte dominante des opposants. Mais on note que les arguments contre l’Union européenne utilisés par ses détracteurs ne sont pas ceux qui suscitent le plus d’engagements avec une certaine apathie révélatrice de la faible mobilisation sur ce sujet actuellement.
Question 3 : prise en compte des propositions concernant l’Europe dans le choix du vote à l’élection présidentielle 2022
« Concernant la campagne pour l’élection présidentielle 2022 en France, les propositions des candidats sur l’Europe compteront-elles dans votre choix de vote ? »
63 % des Français répondent oui.
Et leurs réponses se répartissent ainsi selon leur proximité partisane :
Question 4 : attitude vis à vis de la proposition du nouveau gouvernement allemand d’avancer vers une Europe fédérale
« Le nouveau chancelier allemand Olaf Scholz, à la tête d’une coalition réunissant le FDP, le SPD et les Verts, souhaite mener une politique visant à accroître la souveraineté stratégique de l’Union européenne et souhaite pour cela avancer vers une Europe fédérale. »
Puis « Vous, personnellement, estimez-vous que c’est une bonne ou une mauvaise chose »
Une nette majorité de 58 % de Français soutiennent l’idée d’Olaf Scholz, « d’avancer vers une Europe fédérale » pour accroître la souveraineté stratégique de l’UE. Et l’avancée du chancelier allemand vers plus de fédéralisme est non seulement soutenue par près des trois-quarts des sympathisants LaREM et EELV (73 %), par 69 % des PS et 63 % des LR, mais aussi, chose plus étonnante, par une majorité d’Insoumis (71 %), et par plus de 4 sympathisants RN sur 10 (41 %).
Et l’Institut Odoxa de rappeler que, ni vraiment confédérale, ni vraiment fédérale, l’UE est une organisation hybride ou sui generis. Elle s’approche d’un modèle fédéral (possède des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire), ses traités s’apparentent à une constitution, et le droit européen, qui prime sur le droit national, s’applique directement aux citoyens européens. Mais, elle n’est pas un État fédéral car elle n’est pas reconnue internationalement comme tel et n’a que des compétences exclusives limitées, essentiellement économiques (les États conservent leur souveraineté dans l’essentiel des domaines régaliens).
Concernant les domaines d’action à privilégier (sujet que nous n’analysons pas ici), « une difficulté à laquelle sera confronté le président Macron au cours de la présidence française de de l’UE est de savoir quelle posture adopter concernant l’intégration européenne. Devra-t-il miser sur encore plus d’intégration et avancer vers plus de fédéralisme, ce qui serait sans doute son penchant naturel, ou choisira-il au contraire entendre les critiques de celles et ceux qui demandent que la France retrouve plus de souveraineté dans l’UE ? »
1 L’ensemble des résultats de ce sondage est accessible à http://www.odoxa.fr/sondage/emmanuel-macron-pourrait-marquer-des-points-a-loccasion-de-la-presidence-francaise-de-lue-mais-il-lui-faudra-prendre-position-sur-des-sujets-epineux/