De toute urgence, pour exister, l’Union européenne doit devenir un État

Après des signes avant-coureurs perceptibles depuis quelque temps, le monde devient brutalement plus instable et plus menaçant. Notre Europe est confrontée à des menaces potentiellement létales. Des dangers extérieurs, mais aussi intérieurs, mettent en cause nos cultures et notre civilisation commune. La confortable paix que les Européens de l’Ouest pensaient, à tort, acquise à jamais en s’en attribuant le principal mérite, risque de n’être bientôt qu’un souvenir. D’ores et déjà, nous faisons face à une remise en cause flagrante des principes que nous avions graduellement adoptés depuis des siècles. Nous ne pouvons plus compter sur ceux que nous pensions être nos amis. L’Europe est cernée par des dictatures favorisées par l’usage dérégulé de réseaux « sociaux » sans foi ni loi. À l’instar des referendums, souvent démagogiques et utilisés comme des plébiscites, ces derniers ne sont certes pas des outils de la démocratie. Nous ne devons certainement pas minimiser l’importance de cette profonde rupture.

Face à ces dangers, plusieurs attitudes sont possibles :

  • Les ignorer, détourner le regard, et poursuivre notre somnambulisme et nos incantations oniriques ;

  • Juger que les dangers ne concernent que les autres, les Ukrainiens, par exemple, peuple et nation peu connus chez nous et, par conséquent, soupçonnés de barbarie ;

  • Nous replier sur notre pré carré, à l’instar de nos ancêtres des années mil neuf cent trente qui rejetaient catégoriquement l’hypothèse de « mourir pour Dantzig », mais durent ensuite implacablement subir le joug nazi, fasciste ou bolchevique ;

  • Regarder la réalité en face et en accepter lucidement les conséquences qui s’imposent à notre intelligence, à l’expérience séculaire et à notre cœur.

Sans ambage, l’Histoire nous apprend que la paix se mérite, tandis que le prix de la lâcheté est durable et incommensurable. Il vaut mieux, courageusement, payer celui de la liberté physique, mentale, culturelle. Si nous tenons vraiment à nos chères « valeurs », donnons-nous les moyens de les défendre. « Vous aviez à choisir entre la guerre et le déshonneur ; » avait asséné Churchill à Chamberlain et Daladier qui venaient d’abandonner la Tchécoslovaquie à Hitler « vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre ».

Il a fallu tant de temps pour que les Européens acceptent l’évidence et se rangent à la raison en essayant timidement de surmonter leurs multiples préventions mutuelles qui, cependant, continuent encore de les obséder. Nourri des diverses réflexions de la Résistance européenne au cours de la 2e guerre mondiale, et aidé, non sans arrière-pensées sans doute, par les États-Unis d’Amérique las de nos querelles récurrentes, le projet d’une Europe unie finit, après des siècles de gestation, par prendre son envol, à l’Ouest du continent. Pendant quatre-vingts ans, ce processus a contribué à y amener la paix. Malheureusement, inconsidérément détourné de ses objectifs d’origine, il reste, encore aujourd’hui, dangereusement inachevé, dans l’ignorance et l’inconscience générale.

Ne comptons plus sur les autres pour prendre à notre place les responsabilités qui nous incombent. Les réponses à notre déclassement et notre effacement déjà patents, ne viendront pas de l’extérieur : elles ne pourront venir que de l’intérieur, c’est-à-dire de nous-mêmes.

Une douzaine d’années seulement après sa conception et son énoncé, vassalisé et faussement protégé par la Pax americana, le projet politique d’Union européenne s’est réduit à un projet d’espace économique et de libre échange commercial, un « marché unique », malicieusement paré d’atours flatteurs comme un Parlement (aux attributions incomplètes), des « Symboles de l’Europe » (drapeau, devise, hymne — toutefois sans paroles —), libre circulation des personnes (menacée en permanence par les réflexes nationalistes des États membres), etc. simulant des attributs étatiques. Ce qui ne devrait pas tromper, c’est l’habitude des responsables européens comme ceux des États membres de mettre inlassablement en avant les risques d’atteintes à l’intégrité de « notre marché unique » en leur donnant la priorité et, par conséquent, de faire de sa protection une priorité absolue, en toute circonstance. Or la question n’est pas d’abord de vendre des voitures… allemandes en Chine ou au Brésil. Enrico Letta, dans son rapport d’avril 2024, affirme bien que l’Union européenne est bien plus qu’un marché (« Much more than a market ») : il serait temps de le concrétiser !

 

Ni la défense du territoire de l’UE, ni celle de son marché unique, ni la protection de la santé de celles et ceux qui l’habitent, ni celle de l’état de droit, ni sa politique étrangère, ni une politique environnementale cohérente ne seront crédibles et efficaces aussi longtemps que l’UE ne sera pas un État de plein droit ; un État fédéral, certes, respectant le principe de subsidiarité, mais un véritable État, démocratique et démocratiquement légitime ce qu’elle est loin d’être vraiment. On peut croire le contraire, mais ceci est catégoriquement démenti par le droit international. Et, bien qu’ils prétendent le contraire, les gouvernements de nos petits États nationaux le savent bien, même s’ils continuent de se promener de par le monde pour tenter de décrocher, pour leur seul compte, de juteux marchés à l’exportation ou des accords préférentiels. Où est le souci du bien commun ?

Le temps de la rupture est venu, il nous est imposé. Ne le raillons pas en le caricaturant sous le sobriquet de « Grand soir ». L’UE doit sans tarder devenir un État. C’est une urgence absolue, car demain, il sera trop tard. Et la seule question qui vaille est « Comment y parvenir aujourd’hui ? » Certainement pas sans les citoyens, en tout cas. À nos représentants élus au Parlement d’initier le processus constituant. Chiche ?

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